edgar degas, un séjour à la nouvelle-orléans

Fleuron du musée des beaux-arts de Pau

Lorsque la commission que dirige Charles Le Cœur, conservateur du musée des beaux- arts et président honoraire de la Société des Amis des Arts, valide l'acquisition du Bureau de coton à la Nouvelle-Orléans, nul ne sait encore que le musée vient de se doter de l'œuvre qui, plus que toute autre, en sera le symbole.

Exposé au Salon de Pau en 1878 le tableau numéro 87 du Salon, estimé à 5 000 francs est finalement acquis pour le musée au prix de 2 000 francs.


Je ne dois pas attendre plus longtemps. Je dois vous remercier bien vivement de l'honneur que vous me faites. Il faut aussi vous avouer que c'est la première fois que cela m'arrive qu'un musée me distingue et que cet officiel me surprend et me flatte assez fort.

Edgar Degas dans une lettre datée du 31 mars 1878 adressée à Charles Le Cœur. 

Catalogue de la 2e exposition de peinture, avril 1876
Source : gallica.bnf.fr Bibliothèque nationale de France

Genèse de l’acquisition de l'œuvre

En 1873, quand il décide d'entreprendre ce tableau dans l'espoir de le vendre à un certain William Cottril, fabricant de textile à Manchester, l'artiste spécule sur une œuvre qu'il n'a pas encore exécutée. Son projet connaît malheureusement un double échec. En effet, la faible inclination de son commanditaire pour une certaine avant-garde et la crise économique de 1873 sonnent le glas de ses espoirs.


Présentée au deuxième Salon des Impressionnistes en 1876, l'œuvre, en dépit de l'accueil glacial réservé à Edgar Degas, suscite des commentaires nuancés.


Après cette succession de déboires, providentiels pour le musée des beaux-arts de Pau, c'est en 1878 avec la rente annuelle de 8 000 francs léguée au musée par Émile Noulibos que l'acquisition est décidée. En choisissant un tel sujet, la commission a sans aucun doute voulu rendre hommage au généreux donateur, lui-même descendant d'une famille d'industriels du textile.

Un séjour à la Nouvelle-Orléans

L'historique de l'œuvre commence en octobre 1872, lors d’un séjour américain de six mois vécu comme un retour aux sources par l’artiste (il en rapportera 18 toiles). René Degas, installé à la Nouvelle-Orléans, rentre d'un voyage d'affaires en France et en Angleterre en compagnie de son frère Edgar, désireux de connaître la « branche Américaine » de sa famille. Achille, autre frère du peintre y est également installé.

Dans une lettre du 19 novembre 1872 adressée à son ami James Tissot, l'artiste, enthousiasmé par le charme exotique de la Louisiane, laisse, dans un premier temps, entrevoir de belles promesses.

Des villas blanches à colonnes flûtées au milieu de jardins de magnolias, orangers et bananiers ; des nourrissons blancs dans les bras de leurs nounous de couleur. Rien ne me plaît comme les dames en mousseline sur le devant de leurs petites maisons et les steamboats à deux cheminées, hautes comme des cheminées d’usine et les marchands de fruits aux boutiques pleines.

Edgar Degas


Hélas, ses ardeurs se tempèrent assez rapidement. Edgar Degas, à l'inverse de Paul Gauguin, reste insensible aux attraits de l'exotisme. Il se lance plutôt dans une série de portraits à la fois naturels et tendres, à la composition savante et minutieuse.

  • Edgar Degas, Marchands de coton à la Nouvelle-Orléans, huile sur toile, 1872-73, Harvard Art Museum/Fogg Museum, États-Unis
  • Edgard Degas, Mathilde Musson (cousine de l'artiste), pastels secs sur papier, 1872-73, Metropolitan Museum of art, New York, États-Unis
  • Edgar Degas, Mathilde Musson, huile sur toile, 1872-73, collection particulière
  • Edgars Degas, La Répétition de chant, huile sur toile, 1873, Washington, Dumbarton Oaks Research Library and Collections, États-Unis
  • Edgar Degas, Cour d'une maison à la Nouvelle-Orléans, huile sur toile, 1872-73, collection particulière
  • Edgar Degas, Le Pédicure, huile sur toile, 1872-73, musée d'Orsay

Edgar Degas, Un bureau de coton à la Nouvelle-Orléans, huile sur toile, 1874

Le bureau de coton

Dans un courrier suivant, toujours adressé à James Tissot, il annonce finalement avoir trouvé un sujet « assez fort que je destine à Agnew et qu'il devrait bien, lui, placer à Manchester... Il y a là-dedans une quinzaine d'individus s’occupant plus ou moins d'une table couverte de la précieuse matière et sur laquelle, penché l'un et à moitié assis l'autre, deux hommes, l'acheteur et le courtier, discutent d'un échantillon. Tableau du Cru s'il y en a, et je crois d'une meilleure main que bien d'autres. ». En janvier 1873, il rallonge donc son séjour de trois mois afin de peindre l’étude naturaliste du bureau de coton appartenant à son oncle qu’il visite tous les jours.

Dans cette toile, l'artiste décrit l'activité de l'entreprise familiale. Outre Michel Musson, assis au premier plan, qui soumet le coton à une minutieuse expertise, il représente ses deux frères. Achille est accoudé à la cloison vitrée tandis que René lit le Daily Picayune, journal qui, ironie du sort, annonce le 1er février 1873 la faillite de l'entreprise. Autour de la table, l'artiste saisit, à la manière d'un photographe, la fugacité du geste qui incarne la négociation sous les yeux de John Lavaudais et James Prestidge, associés de Michel Musson.

La tonalité sobre des verts et des bruns du bureau souligne à merveille le raffinement des oppositions entre les teintes sombres des costumes et la blancheur du coton. Quelques touches blanches délicatement disposées sur les habits suggèrent les manchettes et les cols des chemises.

Edgar Degas est un artiste charnière entre tradition et modernité, héritier des maîtres anciens mais parfaitement capable d’innover et de se livrer à des expériences. Ainsi, il confère à cette œuvre une place prépondérante au dessin, tellement abouti que l'on ne peut résolument la rattacher au mouvement impressionniste.

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