Judith, beauté vengeresse et héroïne biblique

> JUDITH, UNE SOURCE D'INSPIRATION RÉCURRENTE

Depuis le Moyen Âge, notamment au cours de la Renaissance italienne, l'épisode de l'Ancien Testament relatant l'histoire de Judith et Holopherne ne cesse d'inspirer les artistes. Bourreau chez le Caravage, vengeance cathartique chez Gentileschi, héroïne conquérante chez Benjamin-Constant, la Judith d'Horace Vernet, elle, est une femme séductrice et déterminée à accomplir son geste salvateur.

Le chapitre 13 du Livre de Judith raconte la manière dont la jeune veuve a sauvé le peuple de Béthulie de l'emprise du général assyrien Holopherne. Commandé par Nabuchodonsor, roi de Ninive, le siège de la petite ville de Palestine affaiblit considérablement ses habitants qui décident de se rendre. Mais, déterminée à éviter cela, la sage Judith quitte ses vêtements de deuil, revêt ses plus beaux bijoux et se rend dans le camp ennemi. Accompagnée de sa servante et complice, elle séduit Holopherne au cours d'un banquet, qui, enivré à la fois par le vin et par le charme de la jeune femme, l'invite à le rejoindre sous sa tente. Assommé par l'ivresse, ce dernier sombre dans un sommeil profond mais fatal, puisque Judith en profite pour le décapiter à l'aide d'un cimeterre.
Elle abandonne le corps inanimé de son ennemi et emporte sa tête afin de l'exhiber sur les remparts de la ville. L'exposition de ce macabre trophée lui permet de libérer son peuple et fait d'elle un symbole du peuple d'Israël en exil.

  • Le Caravage, Judith décapitant Holopherne, huile sur toile, 1599-1602, Galerie nationale d'art ancien, Rome, Italie
  • Artemisia Gentileschi, Judith décapitant Holopherne, huile sur toile, 1613, musée de Capodimonte, Naples, Italie
  • Jean Joseph Benjamin-Constant, Judith, huile sur toile, circa 1875-85, Metropolitan museum of Art, New York, États-Unis

> UN ORIENTALISME BIBLIQUE

Horace Vernet peint cette huile sur toile en 1829, alors qu'il dirige la Villa Médicis à Rome, et la présente au Salon de Paris deux ans plus tard. Pour conter cette scène biblique, il se laisse séduire par la tendance alors à son apogée en ce début de XIXe siècle, l'orientalisme. Cette mouvance se traduit par un attrait, voire une fascination, de l'Occident pour l'Orient.


Durant cette période, les écrivains et les peintres, à la recherche d'un certain exotisme, puisent leur inspiration dans les pays de l'ensemble du pourtour méditerranéen, notamment l'Afrique du nord, et l'Empire ottoman. Cela dit, peu d'entre eux parcourent réellement ces contrées lointaines et se contentent de photographies ou de récits de voyage afin d'alimenter leurs productions artistiques. Les œuvres de ces orientalistes d'atelier donnent finalement à voir un Orient fantasmé.

Horace Vernet, lui, se rend en Algérie, en Égypte, en Syrie, puis en Palestine et adapte les personnages de la vie contemporaine à ses scènes bibliques. Toutefois, il se trouve à Rome lorsqu'il réalise cette toile et décide de prendre pour modèles des personnalités de son entourage : Holopherne prend les traits du compositeur Federico Ricci et Judith, ceux d'Olympe Pelissier, future épouse de Rossini.

> LE THÉÂTRE DU CRIME

Dans un décor théâtral fait de tentures rouges, l'artiste instaure une tension dramatique. L'épais rideau, matérialisant la tente de la future victime, empêche le regard du spectateur de trouver une échappatoire, il n'a d'autre choix que d'affronter la scène dont il connaît déjà l'issue. Á cela s'ajoute la lumière provenant de l'angle supérieur gauche qui, à la manière d'un projecteur de théâtre, met en évidence l'imminence du geste de Judith. De sa main gauche, elle s'apprête à remonter sa manche afin de dégager la main qui accomplira le geste libérateur.

Les rôles sont très précisément distribués dans un jeu d'oppositions évident. Holopherne, prenant habituellement les traits d'un géant, est ici un homme mince aux clavicules saillantes. Il est avachi sur sa couche, la bouche entrouverte et la peau brune de son corps nu contraste avec la blancheur de l'étoffe qui le borde. Judith, quant à elle, plus en chair, se tient debout, le regard tourné vers l'oppresseur de son peuple et sa carnation laiteuse est mise en évidence par la soie ocre de sa robe. Ces deux postures antithétiques soulignent la domination du personnage féminin. Aussi, le choix du format portrait, faisant écho à la verticalité du corps de la jeune femme, renforce la sensation de puissance qui émane de
cette image.

Dans cette scène, tout se joue encore. La sensualité latente, accentuée par les épaules dénudées de Judith, puis le drapé de sa robe épousant et révélant sa poitrine, glisse lentement vers l'effroi d'un crime glacial. Aussi, l'emploi de la couleur rouge, outre la chaleur qui s'en dégage, suggère deux phases : d'abord la séduction dont Judith a dû faire preuve pour apprivoiser Holopherne, puis l'acte sanglant à venir. Cette dualité caractérise parfaitement la figure emblématique que représente Judith : une femme fatale capable d'affranchir tout un peuple grâce à la volonté divine.

Horace Vernet, Judith et Holopherne, huile sur toile, 1829

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